(Le Quotidien) – Sa nomination en août dernier, comme président du club de Gran Canaria, est historique. En effet, joueur professionnel qui évolue en Espagne depuis 2000, Sitapha Savané, 43 ans, est le premier Africain à occuper ce poste de président de club de basket en Europe. Une fierté pour tout Sénégalais. Le Quotidien est allé à la rencontre de cet ancien international présenté comme une légende et leader historique du club de Las Palmas. Entretien.

Qu’est-ce que cela fait d’être président d’une équipe de basket d’élite dans un pays comme l’Espagne ?
C’est un grand honneur et une grande responsabilité. En plus, dans mon cas, je suis président du club où j’ai passé l’essentiel de ma carrière. Gran Canaria, ce sont 9 années de carrière ! D’ailleurs, il est prévu que mon numéro (7) soit retiré à la fin de ce mois. Donc, c’était non seulement une décision mentale, mais aussi émotionnelle. C’est un projet très intéressant dans un club qui a eu des problèmes ces deux dernières années. Il y a eu un éloignement entre le public et le club. Quand les autorités de l’île, qui sont propriétaires du club, à savoir le président de l’île et le vice-président, m’ont contacté, ils m’ont dit qu’ils ont beaucoup cherché, et ils m’ont choisi comme le meilleur candidat possible pour diriger ce nouveau cycle, ce nouveau projet. J’ai beaucoup réfléchi et je leur ai dit qu’on va être très clair : si vous me permettez vraiment de mettre en place un projet et de travailler librement, je suis disposé à le faire. Et cela a été le cas.

Ce n’est pas facile pour un Africain d’être à la tête d’un club aussi grand que Gran Canaria. Qu’est-ce qui a pesé sur la balance pour qu’on vous confie une telle responsabilité ?
Facile ou pas, je pourrai vous répondre dans un an à coup sûr. Mais effectivement, c’est très rare. D’ailleurs, je ne connais pas d’autres cas similaires ici en Europe à ce niveau-là. Et comme me disait mon grand-frère, Lamine (Savané) : «Ça en dit beaucoup sur tout ce que tu as fait. Non seulement en tant que joueur, mais aussi la manière dont tu t’es comporté.» Et c’est le conseil que je donne toujours aux joueurs. Il y a la partie joueur et la partie concernant le caractère que vous devez montrer pendant votre parcours. Et c’est cela qui fait que, quand j’ai terminé, d’abord, on m’a pris ici avec «Canal+ Movistar» comme analyste principal ces quatre dernières années. Ce qui m’a donné encore plus de visibilité. Et à partir de là, il y a eu cette offre qui est venue. Un autre challenge qui m’a motivé, que j’ai décidé de prendre. Aujourd’hui (vendredi dernier contre le Barça), on a eu un grand début. Donc, Sant Yalla !

Après une si longue carrière, vous auriez pu aller faire autre chose. Pour­quoi vous êtes resté dans le basket ?
J’ai étudié aux Etats-Unis. A l’Academy Naval, j’ai fait Sciences économiques. Quand j’ai terminé ma carrière, j’ai d’ailleurs annoncé, dans le programme d’Executive Nba d’Escp Business School en France, que c’était le prochain projet. Je suis dans des business entre le Sénégal et l’Espagne, pour faire un peu le pont entre les hommes d’affaires espagnols et sénégalais, pour travailler aussi dans l’entreprenariat social. Je suis dans l’agriculture au Sénégal, dans différents projets, dans une start-up qui s’appelle Ma Tontine. Donc, mes plans allaient vraiment dans cette direction. Mais c’est la vie. Il y a eu cette offre qui est venue avec la télé. Je ne me voyais pas rentrer comme coach ou directeur technique. Donc, je me suis dit que c’était différent et je le voyais comme une passion, parce que c’était génial de voyager chaque week-end, avoir les meilleurs sièges dans tous les stades, commenter les matchs. C’est ce que j’ai fait ces quatre dernières années. Cela s’est vraiment bien passé et je suis devenu l’analyste principal de Canal+ ici, comme je l’ai dit. Et après, cette offre est venue. J’ai accepté parce que c’est aussi l’intercession entre le basket, le leadership et la gestion, trois de mes principales bases. Et j’ai dit que c’est une bonne expérience.

Est-ce que cela veut dire que vous pouvez aussi jouer le rôle de conseiller technique, en plus d’être président du club ?
Exactement ! Je leur ai dit que je ne veux pas être le classique président. Je ne veux pas copier ce que les autres ont fait comme président, parce que ce serait une perte pour l’équipe. J’étais joueur il y a quatre ans. J’ai joué avec plusieurs de nos joueurs. Les autres comme Khalifa (Diop), je suis un grand-frère pour eux. Notre coach, on a le même âge. Il jouait à Barcelone avec Boniface (Ndong) quand moi j’étais ici. On se connait très bien. Et c’est le premier qui m’a dit : «Ecoute, je sais que comme président, tu vas avoir beaucoup de responsabilités, mais je veux que tu sois proche de l’équipe parce que ces jeunes t’admirent, te respectent. Tu peux être une autre voix dans ce vestiaire.» Jusqu’à présent, c’est ce que j’essaie de faire. Garder toujours le respect maximum au coach en étant aligné sur son discours.

Vous êtes président depuis un mois, est-ce que les débuts ont été difficiles ?
Les débuts ne sont jamais faciles. Surtout pour une transition aussi grande. Ce n’est jamais facile, jamais simple. C’est énormément d’informations à prendre. Si je suis venu, c’est parce qu’il y a des problèmes. On se plaignait quand on était joueurs, mais le vrai travail, c’est en dehors, parce que là, ce sont des journées de travail qui commencent de 9h à 21h les trois dernières semaines. Là, j’espère que cela va se calmer avec le début, mais il y avait beaucoup de travail à faire pour justement arriver à ce qu’on a pu avoir aujourd’hui. Mettre plus de 6000 personnes ici, que les gens se reconnectent avec l’équipe, poussent l’équipe. C’était juste un premier pas. Il y en a beaucoup d’autres à faire. Mais une victoire comme ça donne de la motivation pour le travail qui reste à faire.

Est-ce que vous vous attendiez à un tel début face à une grande équipe comme Barcelone, même si c’est à domicile ?
J’avais envoyé un message aux joueurs et aux gens du club en général, les informant qu’il y avait deux victoires à chercher. Une victoire au niveau des points contre Barcelone et une victoire avec notre public. Que le public voie qu’il y a une équipe qui a la rage de vaincre, qui a envie, qui a de la passion, et une équipe qui leur donne envie de venir à tous les matchs. Et après trois quart-temps, j’ai vu que cette victoire, on l’avait. Donc, j’étais déjà content. Avec cette victoire, vous avez vu la réaction du public… J’ai aussi bien travaillé sur le plan psychologique que sportif. Et je leur ai dit que quelqu’un peut penser que c’est une malchance d’avoir Barcelone à domicile, dès le premier match. Tout le monde pense que la logique soit que Barcelone gagne. Du coup, tu as moins de pression. Mieux vaut avoir Barcelone maintenant, il est plus facile de jouer contre eux en début de saison, car ils ne sont pas à leur top niveau. Ce ne sera pas le même Barcelone dans deux mois. Donc, tout cela nous a servis pour avoir un bon mental. Et quand j’ai parlé à l’équipe à la fin du dernier entraînement, je leur ai dit : «Quand je jouais contre Barcelone de mon «frère» Boniface, il n’y avait pas d’ami, pas de frère pendant les 40 minutes. C’était vraiment la guerre.» Et c’est cette mentalité qu’il faut avoir. Laisser le respect voué à Barcelone de côté pour pouvoir les vaincre. Je suis donc très content qu’ils aient réussi cela, et qu’ils aient eu cette victoire.

C’est une équipe avec beaucoup d’internationaux dont le Sénégalais, Khalifa Diop. En tant que compatriote, comment gérez-vous le joueur qui a signé en Nba mais qui a décidé de rester au sein du club pour le moment ?
C’est mon petit-frère avant de venir ici. C’est un joueur qui a un potentiel énorme. On le sait. C’est un des futurs du basket sénégalais. On a eu la chance énorme qu’entre lui et Omar (Sow, son agent), qu’ils aient décidé de continuer ici. Je crois que c’est la bonne décision pour lui. A cet âge-là, tu as besoin de stabilité, d’être quelque part où on compte sur toi, où on va te donner des minutes de jeu, où on va te pousser à la performance. Donc, tu es stable, tranquille dans ta tête, tu peux travailler sereinement. Ensuite, quand on signe ton grand-frère sénégalais comme président, c’est tout bénef’. Je lui ai dit que je suis là comme un grand-frère, comme un président, et que sa situation va être très bonne ici. Je sais ce dont le joueur a besoin. Du côté du club, je vais tout faire pour que, non seulement lui, mais tous les joueurs soient toujours dans les meilleures conditions. Lui en particulier, il aura mon aide parce que j’étais pivot, je suis Sénégalais, j’ai fait le basket ici. Je lui ai dit que si j’arrive à te passer des choses que j’ai apprises, avec le physique que tu as, le potentiel que tu as, à la Nba, ils vont être très contents de toi très bientôt. Là, c’est le début. Je serai très proche de lui et je l’aiderai à passer tous les obstacles qu’il pourra rencontrer cette année.

Quelles sont les ambitions du nouveau président que vous êtes pour la présente saison ?
Au niveau sportif, je dis toujours aux gens, ici en Espagne, qu’il y a les quatre premières équipes d’Euroleague qui sont toujours dans le haut du tableau. Après, il y a 10 équipes qui luttent pour les quatre autres places qui donnent la Coupe du Roi, les Play-offs. On doit lutter pour retourner à la Coupe du Roi, parce que cela fait quatre ans que l’équipe n’y est pas arrivée. C’est important pour notre public, pour le club. Et aussi, au niveau des Play-offs, avoir une bonne saison en Eurocup. Je leur ai toujours dit que les victoires sont une conséquence du bon travail, de la constance. Il faut être focus sur la constance, le bon travail chaque jour, et le résultat viendra. Penser seulement au résultat, ce n’est pas la bonne manière d’y aller.

Vous avez signé pour combien de temps ?
J’ai signé un contrat de trois ans, plus deux en option. Inchallah, dans trois ans, au moment de prendre la décision des deux côtés, si on a encore envie de continuer, ce sera un très bon signe. Mais comme je l’ai dit, je suis venu pour apporter mon expertise, mon travail, ma passion. Si pendant ces trois ans, je n’y arrive pas, que quelqu’un d’autre vienne.
Avez-vous le temps de suivre le basket sénégalais ?
Dernièrement, pas autant. Mais en général, au niveau de l’Equipe nationale, je suis de manière très directe, parce que ce sont mes amis qui sont là-bas. Et je suis aussi beaucoup les joueurs qui sont à l’extérieur. En plus en Espagne, ils me connaissent tous parce que je suis le grand-frère. J’ai toujours dit qu’on a un potentiel énorme. Le problème qu’on a toujours eu, c’est surtout au niveau de l’organisation. Je crois aussi qu’il faut être honnête, il y a beaucoup de choses qui se sont améliorées ces dernières années. On doit continuer sur cette ligne parce que c’est comme ça que le succès arrive. Aujourd’hui on regarde l’Espagne et on se demande pourquoi ils sont toujours champions. Parce qu’il y a le travail à la base. C’est un grand problème qu’on a au Sénégal avec un manque d’infrastructures, de matériels pour les jeunes. Après, au niveau de la fédération, il faut continuer à se professionnaliser et à améliorer notre organisation, surtout pour les préparations des tournois. Cela fait 20, 30 ans qu’on a des problèmes de visas, d’hôtels, de vols… On doit dépasser ces choses-là en 2022, parce que notre potentiel au niveau du basket est énorme, et on ne doit pas perdre du temps.

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Source : Le Quotidien

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